La grêle - L’alluvion de Rovio du premier août 1998

La grêle - L’alluvion de Rovio du premier août 1998

Samedi premier août, jour de la fête nationale suisse : une journée qui au Tessin a été assez couverte, avec quelque éclaircie dans la deuxième partie de la journée et quelque pluie orageuse sporadique.



À Lugano on était en train de préparer les feux pour la fête nationale, mais un peu plus loin de la - plus précisément dans la zone de Rovio-Melano-Arogno- la nature avait déjà dégagé ses feux d'artifice : une supercellule orageuse a causé en effet vers 18:15 une forte grêle qui a duré un quart d’heure. Les grêlons qui sont tombés sur cette région sont arrivés à avoir un diamètre de plusieurs centimètres, avec de formes à disque assez rares.

Naturellement les dégâts ont été importants : rupture de vitres, toits et voitures, sans compter les problèmes pour les vignobles et les autres cultures. Plus précisément, on a compté 80 maisons touchées, 150 voitures avec des vitres et carrosserie endommagées et surtout les trois églises la Parrocchiale, della Madonna et de San Vigilio avec les toits gravement touchés. Dans l'ensemble les dégâts ont étés évalué à 10 millions de francs.

Ce dossier va donc traiter ce phénomène atmosphérique si fréquent dans cette région du Sud du Tessin, le Sottoceneri.

Décembre 1999
Dossier de Climatologie

Causes et formation de la grêle

La grêle est une précipitation solide constituée par des morceaux de glace dont le diamètre varie entre 5 et 50 mm. L'origine de ce phénomène est à rechercher dans le développement vertical des nuages d'orage cumulo nimbus, siège de mouvements ascendants (jusqu'à 30 m/s) et descendants importants. Les minuscules cristaux de glace et les gouttelettes d'eau qui composent le nuage, portés par les courants ascendants, atteignent des zones où la température est très basse (-50 degré C) et se congèlent. A noter que tous les nuages d'orage ne produisent pas de la grêle.

Les cristaux de glace se déposent ensuite sur les bords du nuage où ils fondent en grande partie. Les gouttelettes sont emportées par les courants ascendants et le processus recommence à nouveau.

La grosseur des cristaux dépend de la puissance des courants ascendants: plus ils sont forts, plus les cristaux restent en suspension et par conséquent ils deviennent de plus en plus gros. Ils s'unissent à d'autres cristaux et à des gouttes d'eau, donnant naissance aux grêlons.

Vitesse de chute

La vitesse de chute de la grêle est fonction de la taille et du poids des grêlons. Les grêlons d'un diamètre de 50 mm tombent et atteignent au sol à une vitesse de 25 m/s (90 km/h). Naturellement on connaît très bien les conséquences des impacts au sol: toits d'immeubles, automobiles et agriculture sont les domaines les plus touchés. Les gros grêlons peuvent même entraîner la mort d'animaux et d'hommes.

Distribution

La grêle se manifeste partout à l'exception des régions polaires. Elle a une certaine fréquence aux latitudes tempérées, notamment en Europe tempérée, où l'on observe les averses les plus violentes. Les causes sont liées au passage de fronts froids atlantiques ou à des orages thermiques. Leur localisation est très difficile à prévoir, vu que généralement il s'agit d'un ruban étroit.

La fréquence de la grêle est directement proportionnelle à celle des orages: plus les orages sont fréquents, plus on a des probabilités d'avoir des précipitations de grêle au sol. En ce qui concerne la fréquence des orages à la surface du globe, on peut noter qu'elle varie en fonction de la temperature et de l'instabilité moyenne de l'atmosphère. Les régions tropicales humides et équatoriales sont les plus exposées aux orages, avec plus de 300 jours d'orages par an dans certaines régions équatoriales. A l'opposé, les régions polaires ne connaissent pratiquement pas l'orage et par conséquence la grêle.

Aux latitudes tempérées, la grêle peut se rencontrer dans les orages associés à des fronts froids, mais aussi dans les orages d'origine thermique se développant en saison chaude par situation de marais barométrique et vent faible. Avec les orages associés à des fronts froids la probabilité d'avoir de la grêle augmente, car les courants ascendants à l'avant de ces fronts sont souvent importants. D'ailleurs, le cas de la grêle du premier août 1998 dans le Sottoceneri est associé à un front froid.

Si l'on excepte la région du Napf très exposée à la grêle, la fréquence de ce météore correspond directement à celle des orages: le Sottoceneri constitue la région de Suisse la plus touchée par les orages. Par contre, les vallées intralpines des Alpes, en particulier celles du Valais et des Grisons, sont les régions de Suisse les moins touchées par les orages. Les causes sont liées à la situation géographique du Sottoceneri et des vallées intra alpines: le Sottoceneri comprend les premiers reliefs du versant Sud des Alpes qui sont très exposés aux afflux d'air humide venant du Sud-Ouest à Sud-Est. Ces reliefs favorisent aussi le développement d'orages d'origine thermique.

Par contre, les vallées intra alpines sont plus sèches, car les fronts y arrivent sous une forme atténuée: les masses d'air abandonnent une partie de leur humidité au contact des premiers reliefs des versants Sud et Nord alpins. D'autre part, les sommets entourant les vallées intra alpines du Valais et des Grisons sont en moyenne plus élevés que ceux du Sud du Tessin. Ils sont donc recouverts de glacier et de neige plus longtemps, ce qui ne favorise pas le développement d'orages d'origine thermique contrairement aux reliefs du Sud du Tessin. Pour ces raisons, le nombre de jours d'orage (et de grêle) diminue du Sud ver le Nord du Tessin en direction des vallées intra alpines du Valais et des Grisons

Au plan Suisse, le Tessin (et notamment le Sottoceneri) est une région qui connaît une forte présence de ce phénomène atmosphérique. Pour l’année 1997 on a compté 48 jours de pluies solides sur l'ensemble du territoire tessinois, par contre au Sopraceneri on en a compté que 20 (cf. fig. 3).

Le cas: la grêle du 1. Août 1998

Commentaire de la situation météorologique du 1. Août 1998

Au sol

La répartition de la pression est assez uniforme sur l'ensemble de l'Europe (situation de marais barométrique) avec donc la presence de vents faibles. Sur la Méditerranée et les Alpes on trouve une zone faiblement dépresionnaire, avec une tendance à un afflux d'air du Sud-Est en direction des Alpes.

La dépression présente sur la Scandinavie et le front froid qui lui est associé s'étire de la Russie à l'Espagne en ondulant sur les Alpes. Ce front froid ondule sur les Alpes durant plusieurs jours (du 31 juillet jusqu'au 4 août 1998) et il se transforme passagérement en front chaud. La presence de ce front stationnaire donne lieu à une situation favorable au développement d'orages en Suisse.

Au niveau 500 hPa

Au niveau 500 hPa on peut noter la présence d'un thalweg dépressionaire sur l'Europe occidentale, ce qui entraine un afflux d'air du Sud-Ouest sur l'Europe centrale et les Alpes.

Sondage de Payerne

Comme on peut voir sur le radiosondage, les vents sont faibles et variables (moins de 10 Km/h) en dessous de 1500 m/mer. Au-dessus on trouve des vents du SSO à SO soufflant entre 50 et 140 km/h juqu'à la tropopause. La tropopause se trouve à environ 11'000 m/me, ce qui nous indique la présence d'une maisse d'air tropicale, très humide jusque vers 6'000 m/mer, puis plus sèche au-dessus

Sondage de Milan

Comme on peut voir sur le radiosondage de 12:00 heures, le vent d'Est à Sud-Est entre le sol et 1'000 m/mer est de 10 km/h, le vent du Sud présent entre 1'000 et 2'000 m/mer a une vitesse de 20 à 30 Km/h et le vent du Sud-Ouest présent entre 2'000 et 11'000 m/mer a une vitesse de 50 à 100 km/h. La masse d'air est très humide jusque vers 6'000 m/mer, puis plus sèche au-dessus. Cette advection d'air tropical humide sur les Alpes est très favorable au développement d'orages.

Temps en Suisse

La journée du 1. Août 1998 est caractérisée par un ciel très nuageux ou couvert au Tessin et en partie ensoleillée au Nord des Alpes le matin. Puis durant l'après-midi, le soir et la nuit on relève des précipitations à caractère orageux sur pratiquement l'ensemble de la Suisse.

Les orages sur le Tessin

Cette situation météorologique a donné lieu à des forts orages sur l'ensemble du Tessin, avec des quantités localement importantes:

Station Pluviométrie (mm)
Sonogno (Sopraceneri) 202.0
Faido (Sopraceneri) 163.0
Mosogno(Sopraceneri) 112.2
Olivone (Sopraceneri) 111.3
Scudellate (Sottoceneri) 18.0
Coldrerio (Sottoceneri) 1.1
Bruzella (Sottoceneri) 3.4
Lugano (Sottoceneri) 31.3

Comme on peut le noter les hauteurs d'eau tombées dans le Sottoceneri sont nettement inférieures aux valeurs mesurées dans le Sopraceneri. Il est possible que ces valeurs sont sous-estimées dans le Sottoceneri, car une partie des précipitations est tombée sous forme de grêle.

La grêle sur Arogno

Au début de la soirée se déchaîne sur le lac de Lugano un violent orage caractérisé par des précipitations sous forme de grêle. Le centre de la cellule orageuse est arrivé vers 18 heures sur le village de Morcote, pour prendre ensuite la direction nord-est. Comme on peut le noter sur les données du temps à Lugano (colonne n.ro 17, Cf. annexe 3) entre 16.00 et 20.00 heures, on a eu l'activité la plus importante au niveau des précipitations, du vent et des décharges électriques, avec la présence d'un abaissement de la température de 3-4 degré.

Dans la zone de Arogno- Val Mara (Italie), on a enregistré les précipitations plus importantes: la grêle arrive à avoir un diamètre de 5-8 cm, une dimension qui n'était plus enregistrée au Tessin depuis des décennies. On a en outre signalé la présence de grêlons de formes assez rares: la forme à disque notamment.

La partie centrale de la cellule orageuse a atteint une surface de 50-100 Km2, soit environ 10 fois la taille d'un orage "normal".

L'orage s'est formé autour de 16 heures à Nord de Turin, en suivant ensuite la direction de vents d'altitude. Vers 18 heures la cellule est arrivée sur le lac Ceresio atteignant le maximum de son activité. En 45 minutes, elle a passé la région entre Mendrisio et Lugano, ensuite elle a faibli d'intensité à la hauteur du lac de Côme.

Conséquences de l'orage

La zone qui a été la plus touchée se trouve entre Porto Ceresio et la Val d'Intelvi (Italie). En ce qui concerne le Tessin, les villages les plus touchés ont été Melano-Maroggia-Rovio.

Les témoins et les photos attestent des grêlons d'une dimension qui a atteint un diamètre de 5-8 cm, une dimension qui n'était plus enregistrée au Tessin depuis des décennies. À noter que l'on a observé des formes assez rares de grêlons: notamment la forme à disque de quelque centimètre de diamètre et de quelque millimètre d'épaisseurs. On a aussi observé des formes irrégulières des morceaux de glace, dues à la croissance irrégulière du grêlon.

Les problèmes causés par la grêle ont été importants: cultures complètement détruites (vignoble notamment), toits des maisons et voitures dévastés.

Bibliographie

• HACK K. H., Météorologie pour aviateurs, traduit de l'allemand par J. H. Strobel, Editions aéroclub de Suisse

• MCILVEEN R., Fundamentals Of Weather And Climate, Chapman & Hall, London, 1992

• SEIFERT V., Guide de la Météorologie, Hatier, Fribourg, 1989